Ce que n'ont pas ainsi pas compris, ceux, trop nombreux, qui ont reproché au long-métrage son air de déjà-vu, c'est que tandis que ces cinq gardes du corps s'emploient à tromper l'ennui, Johnnie To s'ingénie, lui, à surprendre les attentes de son public.
Il n'y a d'ailleurs qu'à voir comment, dès les premiers plans, il ironise sur les excentricités vestimentaires des membres des triades en faisant arborer à ses cinq
bodyguards des cols pelles à tarte et, à Roy Cheung, des cheveux blonds décolorés, en leur faisant prendre des postures qui renvoient aux clichés des films noirs, en montrant Lam Suet régler la détente d’une arme à l’oreille.
Car, comme dans la plupart de ses autres films, loin de vouloir faire du neuf avec du vieux, il s'empare d'un genre qu'on pensait usé jusqu'à la corde dans le seul but de mieux pouvoir en subvertir les conventions. Il n'y a de fait rien dans The Mission qui se passe comme le spectateur s'y attend : comme le déplore d'ailleurs Roy, le quotidien de garde du corps n’est guère enthousiasmant, les gunfights sont bien plus stratégiques qu'épiques, les triades se livrent des combats sans code de l'honneur ; même les tours que les héros jouent traditionnellement aux mauvais peinent à fonctionner. Et si Johnnie To passe en revue tous les lieux communs du genre, c'est uniquement pour mieux les détourner. Œuvre personnelle et novatrice, The Mission n'intègre rien moins qu'une nouvelle dimension au genre du polar, une manière de conscience de ses propres ficelles.
The Mission
En partant tenter leur chance à Hollywood, Tsui Hark et John Woo, les deux grands maîtres du cinéma d'action hong-kongais, avaient tacitement confié à Johnnie To la difficile mission d'assurer, quasiment à lui seul, l'intérim : or, loin de faillir à celle-ci, ce dernier s'en est chargé d'une autre dont l'objectif ne consistait en rien de moins qu'à redonner au polar hong-kongais ses lettres de noblesse. Mission accomplie puisqu'après avoir réalisé un an plus tôt l'enthousiasmant mais imparfait A Hero Never Dies, c'est en filmant la même année Running Out of Time et The Mission que Johnnie To accéda au statut d'auteur qu'on lui reconnaît aujourd'hui. Non content d’être une véritable réussite, le long-métrage est par conséquent un film qui fit date et qui, à ce titre, doit impérativement être visionné par tout amateur de cinéma hong-kongais.